Par Thaïs Martín Navas, déléguée de la CRC spécialisée en communications
En novembre dernier, une délégation de la Croix-Rouge canadienne a rendu visite à l’équipe de la Croix-Rouge mexicaine de Nogales, une ville de l’État de Sonora qui borde l’État américain de l’Arizona. De nombreux habitants de cette ville aride et désertique sont venus d’autres régions du pays pour travailler dans l’une des usines de fabrication transfrontalières, ou maquiladoras, dont les produits sont destinés à l’exportation internationale. « Nous avons un lien étroit avec les gens de l’autre côté de la frontière, et avec le mur lui-même. Nous le voyons tous les jours et le traversons souvent pour acheter des choses que nous produisons ici, mais qui sont vendues là-bas », explique Guadalupe, une résidente qui travaille et fait du bénévolat pour la Croix-Rouge mexicaine depuis près de trois décennies.
La proximité de son voisin du nord fait de Nogales l’un des principaux postes frontaliers pour les marchandises mexicaines. Ce point d’entrée très fréquenté ne sert pas qu’au fret. Il est aussi emprunté par des personnes déplacées cherchant à améliorer leurs moyens de subsistance, à retrouver leur famille ou de fuir la violence ou les catastrophes. Depuis le début de l’année 2022, le nombre de personnes migrantes transitant vers le nord par l’Amérique centrale et le Mexique a considérablement augmenté par rapport aux années précédentes.
Cette croissance des flux migratoires est devenue l’une des urgences sociopolitiques et humanitaires les plus pressantes dans le monde.
Conrad Sauvé (président et chef de la direction de la Croix-Rouge canadienne) et Guadalupe (Lupita) González (coordinatrice locale des efforts de recherche et de sauvetage et personne-ressource de la Croix-Rouge mexicaine pour les enjeux migratoires et le programme de rétablissement des liens familiaux) discutent du mur frontalier et de la situation migratoire.
Malheureusement, comme les migrantes et les migrants n’ont pas toujours l’autorisation d’entrer dans le pays où ils désirent se rendre, certaines personnes empruntent des routes secondaires dans des régions reculées et entrent par des voies irrégulières. De plus, les précautions qu’elles doivent prendre pour passer inaperçues pendant leur voyage vers les États-Unis, et occasionnellement vers le Canada, les empêchent d’accéder à l’aide humanitaire dont elles ont le plus désespérément besoin. « Souvent, elles doivent suivre des sentiers accidentés loin des routes où il n’y a pas de services ou d’eau. Elles marchent des semaines, sur des centaines de kilomètres, pour éviter d’être repérées par les patrouilles frontalières », explique Valentina, la personne-ressource de la Croix-Rouge mexicaine pour les enjeux migratoires et le programme de rétablissement des liens familiaux.
De plus, la difficulté croissante d’atteindre la frontière américaine par les principaux lieux de passage, comme Tijuana ou El Paso, a entraîné le déplacement des itinéraires migratoires vers des zones plus dangereuses, comme le désert du Sonora, où se trouve Nogales. Va;entina explique:
« Les migrantes et les migrants qui traversent le désert doivent endurer des chaleurs estivales de plus de 40 degrés Celsius et des températures hivernales inférieures à zéro. À ces conditions difficiles s’ajoutent les nombreuses menaces auxquelles ils sont confrontés pendant leur voyage, comme la violence basée sur le genre, l’extorsion, les enlèvements ou les disparitions ».
Le mur frontalier au centre de la ville de Nogales, dans l’État de Sonora, au Mexique.
À mesure que l’on s’éloigne du centre urbain de Nogales et du mur qui délimite la frontière entre le Mexique et les États-Unis, un paysage accidenté, parsemé de broussailles basses, d’abondants cactus et de rochers escarpés s’étend à perte de vue. Il n’est pas rare d’apercevoir un véhicule tout-terrain de la patrouille frontalière sur un surplomb rocheux à proximité. Les personnes migrantes sont souvent coincées : sans économies, elles sont incapables de payer pour un hébergement quand elles attendent l’occasion propice de traverser cette dernière portion du chemin, ou encore lorsqu’elles sont refoulées vers le Mexique.
Les missions de recherche et de sauvetage de la Croix-Rouge mexicaine font partie de la vie quotidienne dans cette région. En tant que responsable des opérations de secours dans l’arrière-pays, Guadalupe a été témoin de situations dramatiques, mais le soutien fourni par la Croix-Rouge lui permet de poursuivre son travail. « Cette région est un couloir de transit, et nous recevons fréquemment des rapports de fractures dues à des chutes. Si la personne blessée se trouve au Mexique, nous organisons une expédition de recherche et de sauvetage; si elle se trouve en sol américain, nous assurons un suivi une fois qu’elle a été rapatriée et est revenue à Nogales », explique Guadalupe.
Une migrante arrive à la station d’aide humanitaire de la Croix-Rouge mexicaine à Nogales.
L’équipe de la Croix-Rouge mexicaine à Nogales gère également un point de service humanitaire pour les migrantes et les migrants qui sont renvoyés au Mexique. Cette halte, située dans des locaux où convergent les autobus qui les ramènent au Mexique, procure un large éventail de services d’assistance et de protection en fonction des besoins. « Nous offrons plusieurs services gratuits aux personnes migrantes, comme l’accès à de l’eau potable et à des services d’hygiène, des soins préhospitaliers, de l’aide médicale, du soutien psychosocial et les services du programme de rétablissement des liens familiaux. Nous les orientons également vers d’autres services en coordination avec les autorités locales et étatiques, comme dans le cas des mineures et des mineurs non accompagnés », note Valentina.
Au cours de leur périple, de nombreuses personnes transitent par la ville plus d’une fois. « Lors de leur premier passage, elles sont très motivées, leurs yeux et leurs rêves sont fixés sur la vie qu’ils auront de l’autre côté du mur. Mais quand elles reviennent, après avoir été expulsées, elles ont épuisé leurs forces et leur argent, et parfois, elles ont aussi perdu leur famille. Elles ne sont parfois que l’ombre d’elles-mêmes », murmure Guadalupe.
Le point de service humanitaire de Nogales est un bâtiment modeste comprenant deux zones de guérison et de récupération, une aire de repos, une salle d’examen et des toilettes. Lors de la visite de la délégation, Guadalupe a accueilli chaleureusement une jeune femme dans la trentaine. Celle-ci avait laissé ses quatre enfants dans l’État mexicain du Michoacán deux mois plus tôt, s’engageant dans un voyage incertain pour assurer un avenir meilleur à sa famille. Ce soir-là, elle revenait à Nogales après avoir été expulser des États-Unis. Fatiguée et désorientée, elle n’avait plus que des chaussures usées par sa longue marche et quelques affaires dans un sac en plastique. Malgré cela, dès qu’elle s’est assise sur le brancard, la gentillesse de Guadalupe l’a vite rassurée. « Quand les personnes rapatriées arrivent ici, elles sont en détresse, elles ne savent souvent même pas à quelle frontière elles se trouvent. Lorsque nous les approchons et leur disons qu’elles sont dans un endroit sûr, qu’elles peuvent nous faire confiance, que nous allons les aider, le réconfort que nous leur offrons fait qu’elles se sentent moins seules et plus en sécurité », assure Guadalupe.
Le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge plaide pour l’accès à l’aide humanitaire et à la protection de tous les migrants et les migrantes partout dans le monde, quel que soit leur statut juridique, en les soutenant tout au long de leur parcours afin rendre celui-ci plus sûr et plus humain. Les services offerts par la Croix-Rouge mexicaine à Nogales sont un exemple éclatant de ce travail vital, et des personnes dévouées qui le rendent possible. À la fin de la visite, à l’approche du crépuscule, Guadalupe était toujours occupée. Elle conclut, avec un sourire aux lèvres:
« Les sourires des enfants, le soulagement quand nous aidons une personne à reprendre contact avec sa famille, le fait de voir des familles réunies, j’ai trop de bonnes raisons pour continuer à faire ce travail. Les besoins sont si grands que j’y consacre chaque jour autant d’heures de travail que de bénévolat. Et je le fais volontiers ».
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