Tristesse et espoir : un an de conflit en Ukraine

Par Stephanie Murphy, Croix-Rouge canadienne

Que signifie vivre une année sous la menace d’un conflit armé? Pour certaines personnes, cela signifie devoir abandonner tout ce qu’elles connaissaient pour se réfugier dans un endroit sécuritaire, ou encore passer des heures dans des abris anti-bombes ou sans électricité. Pour beaucoup trop d’entre elles, cela signifie être séparées de leur famille, avoir du mal à accéder à des soins médicaux de base et vivre dans l’incertitude.
 
Une maison et une voiture dévastéesLe conflit en Ukraine affecte la vie de tous les Ukrainiens et Ukrainiennes de mille façons différentes, même ceux qui vivent loin des lignes de front. Mais en même temps, la vie continue. Les gens vont au marché la fin de semaine, promènent leur chien et vont au restaurant. Ils essaient de maintenir un sentiment de normalité face à une situation qui ne devrait jamais être normale.
 
J’ai récemment passé deux semaines en Ukraine pour rencontrer des gens à qui la Croix-Rouge vient en aide, ainsi que des équipes de la Société de la Croix-Rouge d’Ukraine qui prodiguent ce soutien vital.
 
Les Canadiens et les Canadiennes ont fait preuve d’une générosité exceptionnelle en donnant plus de 171 millions de dollars au Fonds de secours : Crise humanitaire en Ukraine, tout comme le gouvernement du Canada, qui a établi un programme de jumelage des dons jusqu’à concurrence de 30 millions de dollars. Grâce à ces dons et au soutien du gouvernement fédéral, la Croix-Rouge canadienne a pu apporter une aide essentielle aux personnes touchées qui sont demeurées en Ukraine ainsi qu’à celles qui ont fui vers les pays voisins par l’intermédiaire de ses partenaires du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.
 
Tout au long de mon voyage, j’ai pu constater à quel point les gens sont reconnaissants de ce soutien. Ils sont reconnaissants de savoir que des Canadiennes et des Canadiens se soucient de leur bien-être et que des Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge du monde entier sont là pour les aider.
 
J’aimerais pouvoir raconter tout ce que j’ai vécu pendant mon voyage, mais cela prendrait des dizaines de pages. Voici donc quelques-unes des histoires qui resteront gravées dans ma mémoire.
 
Procurer de la chaleur pendant les mois d’hiver
 
Un poêle à bois. C’est un objet tout simple auquel on ne pense pas vraiment au Canada, et qui est rarement notre unique source de chauffage. Mais lorsque vous dépendez du chauffage électrique et subissez régulièrement des coupures de courant, un poêle à bois peut faire toute la différence quand vient le moment de vous garder au chaud en hiver.
 
Des batîments endommagésEn raison des dommages subis par les infrastructures en Ukraine, la population subit régulièrement des coupures de courant dont la durée peut varier de quelques heures à plus de six heures. C’est pourquoi la Société de la Croix-Rouge d’Ukraine, avec le soutien de la Croix-Rouge canadienne, a fourni des poêles à bois à des foyers et à des centres communautaires afin de garder les gens au chaud, en sécurité et confortables.
 
Maria vit à Shybene, au nord de Kyïv, une région qui a été touchée par les hostilités au printemps 2022. Elle se trouvait dans les Carpates lorsque le conflit a éclaté et elle n’a pas pu retourner chez elle pendant un certain moment. Lorsqu’elle a finalement pu revenir chez elle, elle a réalisé qu’elle n’avait plus de maison. Sa maison en briques, située à l’angle d’une petite rue, était détruite, et l’avertissement « mines », avait été peint en ukrainien sur la clôture avant de la maison.
 
Maria porte un manteau noir et regarde le ciel, sereineMaria est maintenant hébergée dans la maison de campagne de son ami, à quelques centaines de mètres de là. Ici aussi, les fenêtres ont été endommagées pendant les hostilités, mais elles ont été remplacées. Cet arrangement lui convient pour le moment, mais elle ne se sent pas chez elle. Nous lui avons rendu visite pendant une panne de courant, et le poêle — qu’elle avait depuis environ un mois — dégageait une chaleur réconfortante dans une pièce autrement froide.
 
Maria nous a raconté qu’elle passe devant sa maison endommagée presque tous les jours. Elle y conserve sa récolte de pommes de terre dans la cave, et nous a dit fièrement que la récolte de l’année dernière avait été bonne. Elle a cueilli les pommes de l’arbre derrière sa maison et a insisté pour que nous en prenions chacun une. Même si on pouvait voir son immense tristesse lorsqu’elle parlait de sa maison, elle demeure très reconnaissante de l’aide qu’elle a reçue de ses proches et d’organisations internationales comme la Croix-Rouge.
 
Un abri au sous-sol pour des enfants de la maternelle
 
Dans d’autres circonstances, les petits sacs à dos auraient constitué l’image même de l’innocence. Des sacs à dos ornés de différents personnages de dessins animés, dont un en forme de coccinelle jaune, bien rangés sur des casiers multicolores.
 
Mais je me trouve dans une classe de maternelle à Nemishayeve, un village près de Bucha, à l’extérieur de Kyïv. Ce sont les sacs à dos des enfants en cas d’attaque aérienne, remplis de vêtements chauds et peut-être d’un jouet avec lequel ils pourront jouer pendant les alertes qui durent parfois des heures. Je suis immédiatement frappée par l’image d’enfants âgés de trois ans à peine, qui prennent leur sac et descendent les escaliers en bois jusqu’au sous-sol pendant que retentit une alerte aérienne.
 
C’est une expérience que personne ne devrait avoir à vivre, et encore moins des enfants aussi jeunes. C’est pourtant devenu une réalité dans tout le pays, alors que le conflit continue de faire rage. Le mieux que l’on peut faire est de se préparer et d’essayer de rendre l’abri aussi accueillant et confortable que possible.

Visite d’une classe de maternelle à Nemishayeve qui a reçu le soutien du CICR. De gauche à droite : Anastasiia Mykhailova (bureau de l’accès à l’éducation du CICR), Katerina (directrice de l’école), moi-même, Anton Klymenko (interprète du CICR), Adam Tadros (monteur vidéo et producteur de contenu de la Croix-Rouge canadienne) (Crédit : CICR)
Visite d’une classe de maternelle à Nemishayeve qui a reçu le soutien du CICR. De gauche à droite : Anastasiia Mykhailova (bureau de l’accès à l’éducation du CICR), Katerina (directrice de l’école), moi-même, Anton Klymenko (interprète du CICR), Adam Tadros (monteur vidéo et producteur de contenu de la Croix-Rouge canadienne) (Crédit : CICR)

En raison d’une alerte aérienne ce matin-là, les élèves sont absents le jour de notre visite à l’école. Nous rencontrons la directrice, Katerina, qui nous fait visiter les lieux. L’école est chaleureuse et accueillante, les murs sont peints de couleurs vives et les étagères sont remplies de jouets et de livres.
 
Katerina nous conduit au sous-sol de l’école, qui sert d’abri antiaérien. L’école sert de point de rassemblement pour les écoles maternelles de la région depuis le printemps, car c’est la seule à disposer d’un abri. Des cœurs et des animaux décorent les murs du sous-sol pour le rendre plus invitant, et plusieurs jeux et jouets aident à occuper les élèves. Katerina me dit qu’ils jouent parfois de la musique pendant les alertes.
 
Le sous-sol a servi d’abri à la communauté pendant les premiers jours du conflit, lorsque les hostilités ont atteint le village. Parfois, jusqu’à 100 personnes dormaient ici, et chaque recoin était utilisé. Le village a été fortement touché par la crise. Plus de 300 bâtiments, dont 26 appartements et près de 200 maisons ont été endommagés.
 
Lorsque l’école maternelle a pu reprendre ses activités à la mi-mai, elle a reçu le soutien du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) dans le cadre de son programme d’accès à l’éducation. Le CICR a fait don d’équipements comme des ordinateurs et des écrans pour remplacer ceux qui avaient été détruits pendant l’occupation afin que le personnel puisse les utiliser. Il a également distribué des bâches et du film anti-explosion pour les fenêtres. Les bâches sont utilisées dans tout le sous-sol pour empêcher les courants d’air et pour tapisser le sol — sous un assortiment de tapis colorés — afin de l’isoler et de le garder au sec.
 
Une enseignante me dit que les changements de comportement qu’elle constate chez ses élèves depuis un an sont dramatiques. Tous les enfants réagissent différemment pendant les alertes, mais ils sont très nerveux et inquiets, et c’est particulièrement difficile lorsque des alertes nocturnes perturbent leur sommeil.
 
Dans ces circonstances exceptionnelles, les membres du personnel enseignant et administratif de l’école font de leur mieux pour offrir un semblant de normalité aux enfants. Ils ont vécu tellement d’épreuves durant leur courte vie, je suis reconnaissante qu’ils aient un endroit aussi accueillant où se réfugier chaque jour.
 
Faire d’un hôpital son foyer
 
Pour répondre aux besoins des 6,5 millions de personnes déplacées à l’intérieur de l’Ukraine, des centres communautaires ont été créés dans tout le pays pour offrir un endroit sûr et chaud à ceux et celles qui ont dû fuir leur maison. Ces centres remplissaient différentes fonctions avant le conflit : certains étaient des dortoirs, d’autres des centres communautaires et d’autres encore des centres de réadaptation.
 
Des membres du personnel de la Croix-Rouge livrent des matelas au centre communautaire abritant des personnes déplacées à l’intérieur du pays à Geronymivka.
Des membres du personnel de la Croix-Rouge livrent des matelas au centre communautaire abritant des personnes déplacées à l’intérieur du pays à Geronymivka.
Nous avons visité l’un de ces centres à Geronymivka, en Ukraine, qui accueille aujourd’hui 53 personnes déplacées à l’intérieur du pays. La responsable du centre nous a expliqué que beaucoup de ces personnes arrivent de Donetsk et que leurs maisons ont été endommagées, et qu’il était fort probable que leur séjour soit de longue durée. La personne la plus âgée du refuge a plus de 80 ans et la plus jeune est un petit garçon qui n’avait que 29 jours lors de notre visite.
 
Transformer un ancien hôpital en un foyer accueillant est déjà un défi, mais le centre doit faire face à des difficultés supplémentaires puisqu’il était autrefois un centre de réadaptation pour enfants. Les murs aux couleurs vives rendent le refuge chaleureux, tout comme le hamster domestique du centre, qu’une petite fille nous montre fièrement, mais un centre destiné aux enfants comprend plusieurs obstacles pratiques quand vient le temps d’héberger des adultes.
 
Pour commencer, tous les meubles sont faits pour des enfants, comme les petites tables et chaises de la cuisine, et les lits, qui supportent des charges maximales de 45 kg (100 lb), et certains meubles sont également trop bas pour que la plupart des adultes puissent les utiliser confortablement. La Société de la Croix-Rouge d’Ukraine, avec le soutien de la Croix-Rouge canadienne, a donc fourni des fonds pour remplacer certains de ces meubles, dont plusieurs lits.
 
D’importantes mises à niveau ont également été nécessaires pour rendre l’établissement plus sûr et plus confortable pour les résidents et les résidentes. La Société de la Croix-Rouge d’Ukraine appuie actuellement la construction de toilettes distinctes pour les hommes et les femmes et d’une buanderie que les résidents et résidentes pourront utiliser.
 
Pendant notre visite, un ingénieur de la Croix-Rouge ukrainienne effectuait des évaluations en vue de réaliser d’autres travaux d’amélioration, dont beaucoup rendront la bâtisse plus accessible aux personnes aînées et aux personnes en situation de handicap. Il s’agit de travaux simples comme l’ajout de rampes dans les couloirs et les salles de bain, ainsi que d’améliorations plus importantes comme la construction d’une rampe pour accéder à l’arrière du bâtiment.
 
Nous avons également rencontré un homme qui doit vivre dans un petit espace délimité par une cloison, car les portes ne sont pas assez larges pour laisser passer un fauteuil roulant d’adulte. La Société de la Croix-Rouge d’Ukraine envisage également d’élargir certaines portes pour les rendre accessibles aux personnes qui se déplacent en fauteuil roulant et avec d’autres aides à la mobilité.
 
Tout au long de la visite, il était évident que la directrice du centre est passionnée par sa mission d’aider les personnes dont elle est responsable. Il doit être difficile pour elle de passer du statut de médecin à celui de directrice d’un établissement consacré à prendre soin de personnes qui ont autant souffert, mais elle fait de son mieux.
 
Dernières réflexions
 
En repensant à mon séjour en Ukraine, je n’oublierai pas de sitôt les ponts et les bâtiments détruits sur mon chemin ni les quatre heures passées dans un abri au milieu de la nuit pendant une alerte aérienne. Mais je n’oublierai jamais la gentillesse et la résilience des gens que j’ai rencontrés, leurs histoires incroyables et leur immense gratitude pour l’aide qu’ils ont reçue et continuent de recevoir.
 

À tous ceux et celles qui ont fait un don au Fonds de secours : Crise humanitaire en Ukraine de la Croix-Rouge canadienne sachez que votre soutien est apprécié et qu’il fait la différence.

Alors que le conflit entame sa deuxième année, les besoins humanitaires ne font qu’augmenter. Les lignes de front se déplacent, les attaques aériennes se multiplient et de plus en plus de personnes sont contraintes de fuir leur foyer. Le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, qui comprend la Croix-Rouge canadienne, continuera de travailler dans tout le pays et dans la région tant que les gens auront besoin d’aide.

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