Par une journée torride de la fin du mois de février, des bénévoles de la Croix-Rouge haïtienne font de leur mieux pour écouter attentivement la Dre Sherley Bernard malgré la chaleur. Pas qu’il soit si difficile de demeurer concentré entre quatre murs en béton nu, devant une oratrice aussi dynamique. Mais pour tout dire, c’est grâce au sujet que leur attention demeure captivée. Dans le cadre de la formation, les bénévoles apprendront notamment comment intervenir en réponse à l’éclosion de COVID-19, récemment qualifiée de pandémie par l’Organisation mondiale de la Santé.
En Haïti, où de nombreuses éclosions se sont succédé au cours de la dernière décennie (choléra, Zika, etc.), on a l’habitude de composer avec des maladies infectieuses. Néanmoins, les limites des capacités de contrôle et de quarantaine continuent de constituer un défi et elles accroissent le risque que la COVID-19 se propage dans l’ensemble du pays. De plus, Haïti présente la plus forte incidence de tuberculose des Amériques et d’autres problèmes de santé chronique y sont très fréquents : VIH/sida, diabète et hypertension, notamment. Dans ce contexte, il est crucial d’adopter des mesures précoces d’endiguement des maladies.
Dans cette salle de formation à Port-au-Prince, les bénévoles savent qu’une menace se profile, mais il leur est difficile de saisir toute l’ampleur de ce qui se prépare. Il faudra 30 jours de plus avant que les premiers cas confirmés de COVID-19 ne soient annoncés en Haïti.
« C’est comme si nous préparions le pays pour la COVID-19 avant que la pandémie ne se déclare, d’expliquer la Dre Bernard, conseillère en santé au sein de la Croix-Rouge haïtienne. Nous avons offert des formations en secourisme à plus de 100 bénévoles. Nous avons aussi mené des séances de formation des formateurs. De plus, nous avons tenu des séances de formation sur le contrôle des épidémies et des séances auprès de dirigeants communautaires et de représentants d’organisations dans la communauté pour les renseigner sur la façon de se préparer à une pandémie. »
La Dre Bernard était encore étudiante en médecine lorsqu’elle s’est jointe à la Croix-Rouge haïtienne comme bénévole, en 2001. Maintenant, forte d’une maîtrise en santé publique et de près de deux décennies d’expérience, elle sait que la formation n’est qu’une première étape.
« La pandémie de COVID-19 a frappé pendant que nous nous préparions. Maintenant, il faut agir, affirme-t-elle. Il a quand même fallu surmonter des défis pour passer de la théorie à la pratique. »
Il serait facile de conclure que ces efforts de préparations sont le fruit d’un heureux concours de circonstances. Mais ça serait inexact. À la suite du séisme dévastateur de 2010, des initiatives délibérées ont découlé d’une volonté de veiller à ce que le pays soit mieux préparé à intervenir en cas d’urgence. Depuis cette catastrophe, par l’entremise du projet Urgences-Santé, la Croix-Rouge canadienne appuie le renforcement des capacités des employés et bénévoles locaux de la Croix-Rouge haïtienne. Selon la Dre Bernard, cette aide permet de changer des choses.
« Je pense que le projet de renforcement des capacités nous a aidés. La délégation de la Croix-Rouge canadienne est intervenue rapidement, parce que nous étions déjà présents sur place à travailler à ce projet, d’ajouter la Dre Bernard. Étant donné que certains de nos bénévoles étaient déjà formés en contrôle des épidémies, nous avons pu les mobiliser rapidement. Il a suffi d’une séance complémentaire sur la COVID-19 avant de pouvoir leur confier du travail dans la communauté. »
Elle est bien placée pour en témoigner. En plus de ses tâches régulières, elle assurer la coordination du projet. Les débuts sont prometteurs. Mais n’oublions pas qu’une pandémie n’a rien d’un sprint : c’est un marathon. Tandis que la pandémie se prolonge, l’équipe doit s’adapter pour répondre aux besoins en émergence.
« Maintenant, nous mettons plus d’accent sur la prévention, d’expliquer la Dre Bernard. Alors que les écoles reprennent leurs activités, nous nous concentrons sur les écoles les plus vulnérables. Nous offrons de la formation aux enseignants et faisons de la sensibilisation dans ces écoles. Nous organisons aussi des séances de formation de formateurs dans le domaine des premiers secours psychologiques, car nous voulons être en mesure d’offrir aux bénévoles une formation sur la façon d’intervenir lorsque surviennent des problèmes de santé mentale pendant la pandémie de COVID-19, de même que sur la prévention de la violence fondée sur le genre. »
Ces efforts ne sont pas passés inaperçus. Le leadership inébranlable de la Dre Bernard, qui a gagné le respect du gouvernement et d’autres organisations participant à la réponse nationale face à la COVID-19, a permis l’adoption d’une approche coordonnée. Néanmoins, la Dre Bernard émet une mise en garde, précisant que même si des progrès ont été réalisés, la menace est loin d’être disparue.
« Les gens sont de moins en moins prudents parce qu’ils observent une diminution du nombre de cas. Toutefois, compte tenu du manque d’accès aux services et aux tests de dépistage dans un grand nombre de communautés, il est difficile d’établir combien de personnes sont véritablement atteintes de la COVID-19, prévient la Dre Bernard. Les gens pensent que le problème est réglé et qu’il n’y a plus de COVID-19 au pays. C’est pourquoi nous devons accorder plus d’importance aux démarches de sensibilisation pour rappeler aux gens que la pandémie n’est pas terminée. »
Des bénévoles locaux, comme ceux qui participent à la séance de formation de la Dre Bernard, se chargent de ce travail. Cet aspect est important parce qu’en contexte de pandémie, il est essentiel de gagner la confiance de la population. La confiance ne s’obtient pas du jour au lendemain, elle se construit au fil du temps, dans le cadre de partenariats respectueux établis avec les communautés pour répondre à leurs besoins. Pour ce faire, il faut assurer une présence dans ces communautés avant et après une situation d’urgence. Et il faut être là quand les besoins se font sentir. Il y a environ un mois, lorsque la Dre Bernard a visité une banlieue de Port-au-Prince pour animer d’autres séances de formation sur la COVID-19, elle a observé directement l’importance que revêt cette présence dans les collectivités.
« J’étais assise dans le véhicule de la Croix-Rouge avec le chauffeur. Des gens sont venus nous voir pour nous donner de l’eau. J’ai voulu les payer, mais ils ont refusé, nous disant “Non, nous vous l’offrons. Dans notre communauté, seule la Croix-Rouge vient nous aider”. »
La Dre Bernard garde précieusement en mémoire ces rares moments où l’importance de son travail devient plus tangible.
« Une fois qu’on fait partie de l’équipe de la Croix-Rouge, c’est difficile de la quitter, dit-elle. La Croix-Rouge est vraiment devenue ma deuxième famille. »
Ses deux enfants la taquinent souvent au sujet de son sentimentalisme, qu’elle ne peut s’empêcher d’accourir au moindre appel de la Croix-Rouge. Mais la Dre Bernard ne se laisse pas impressionner par ces taquineries. Sourire en coin, elle se défend : « Le travail humanitaire ne change pas uniquement la vie des bénéficiaires. Il transforme aussi celle des employés et des bénévoles. J’ai beaucoup appris. J’ai appris à être plus humble, j’ai appris à faire plus attention à la communauté. Je n’ai pas seulement appris à faire du travail humanitaire. J’ai appris à me montrer plus humaine. »
Notre appel de dons au Fonds de secours international : COVID-19 vise à soutenir les opérations de secours se déroulant partout au monde en réponse à la pandémie, y compris en Haïti. Vous pouvez faire un don dans notre site Web ici.
Articles connexes