Le travailleur humanitaire Jean-Baptiste Lacombe revient d'une mission pour lutter contre l’épidémie du virus Ebola, dans la région du Nord-Kivu, en République démocratique du Congo. Il nous raconte ici l’histoire touchante d’une jeune femme courageuse.
J’ai participé à des missions pour enrayer des épidémies de choléra, de rougeole et de méningite, pour assister des personnes touchées par des inondations, des guerres civiles, des mouvements de population ou des crises alimentaires, mais les missions pour contrer le virus Ébola sont de loin les plus ingrates et difficiles que j’ai vécues notamment parce que la maladie fait peur.
Mariés depuis quelques semaines, Maryam*, 19 ans, et Kakule vivent dans un petit village entre Beni et Mangina. Sur la route, ils remarquent des points de passage où des employés du ministère de la Santé prennent la température des gens et leur demandent de se laver les mains. Maryam et Kakule comprennent que c’est pour contrer l’Ébola, mais ils ne savent pas d’où vient ce virus... Certains disent qu’il provient de la province de l’Équateur, d’autres, des chauves-souris, du gouvernement, et certains pensent même qu’il s’agit de sorcellerie.
Un matin, Kakule fait de la fièvre et ne se sent pas bien. Croyant qu’il est atteint de malaria, il se rend au poste de santé pour se procurer des médicaments. L’infirmier lui suggère de se rendre au centre de traitement d’Ébola pour passer un test. Kakule refuse catégoriquement, il a entendu dire que la moitié des gens qui entrent dans le centre, y meurent. Au cours des jours suivants, sa situation s’aggrave, mais il refuse toujours d’aller au centre de traitement malgré l’insistance de l’équipe du Ministère.
Maryam s’occupe de son nouveau mari du mieux qu’elle peut, mais elle est impuissante face à la maladie. Lorsqu’il y succombe, elle passe une bonne partie de la nuit à pleurer en le tenant dans ses bras. Le corps de Kakule est ensuite rapatrié dans son village natal et, comme le veut la tradition, le patriarche annonce la cause du décès aux funérailles. C’est sans équivoque : la sorcellerie a emporté Kakule dans la tombe.
Maryam se retrouve seule, en deuil, et, en plus, elle souffre d’une fièvre qui devient de plus en plus forte chaque jour. Elle n’ose pas aller au poste de santé, car elle craint les gens du Ministère.
Une semaine plus tôt, le vieux Philémon a été emporté par les gens du Ministère. Depuis, personne ne l’a revu et plusieurs le croient mort. Au village, Maryam entend sa voix, transmise du téléphone au haut-parleur. De sa voix rauque, il raconte à tous qu’il est dans le centre de traitement d’Ebola où il mange trois fois par jour. Le médecin s’occupe bien de lui et il se porte de mieux en mieux.
Son message résonne: «L’Ebola existe vraiment, mais on peut en guérir si on va au centre de traitement rapidement. Que personne ne brûle ma case, je reviens bientôt! » Le soir même, Maryam part en ambulance vers le centre.
L’arrivée au centre peut être intimidante. Une équipe munie d’un pulvérisateur décontamine l’ambulance au complet dès que Maryan en sort. On l’installe ensuite sur un petit banc. Les gens qui l’interrongent sont assis de l’autre côté d’une clôture orange. Puis, deux bonhommes portant de grandes combinaisons jaunes en plastique, des cagoules blanches et de grosses lunettes de plastique s’approchent d’elle et lui parlent gentiment dans sa langue natale : « Ne t’inquiète pas, nous allons prendre soin de toi… »
Le diagnostic de Maryam est tombé le jour où le vieux Philémon, lui, a obtenu son congé : il est guéri. Toute sa famille l’attendait à la sortie, où l’équipe du centre de traitement lui a remis un certificat confirmant sa guérison. Les applaudissements, les larmes de joie et les mains tendues volontairement vers le survivant ont redonné courage à Maryam.
Après 10 jours de combat contre la maladie pendant lesquels elle a appris que les bonshommes en plastique s’appellent Moussa, Daniel, Sophie, Ange, Bahati et Éléa, Maryam a finalement reçu un deuxième test négatif. Elle a gagné son combat!
Maryam s’implique maintenant dans la lutte contre le virus. Elle fait du porte-à-porte pour raconter son histoire au marché, dans les églises et dans les projections publiques de films de sensibilisation au virus Ebola.
Des histoires comme celle-ci, on en entend beaucoup. Des histoires d’orphelins, de foyers brisés, de familles anéanties, de gens qui disparaissent dans la forêt et qui n’en reviennent jamais. Au sein de mon équipe, 112 bénévoles travaillent tous les jours pour vaincre la maladie. Tranquillement, on sent que les perceptions et les comportements changent. Les survivants racontent leurs histoires. On parle de la maladie à la radio. Les prêtres et les imams diffusent les messages pour démystifier le virus et mieux le combattre dans leur église et leur mosquée. Ce soir, je reviens d’une présentation d’un film de sensibilisation. Les gens ont ri. Les enfants dansaient. Maryam a fait un sketch avec des bénévoles qui s’occupent des enterrements sécuritaires. Ce fut un grand succès. Le film sera présenté dans plusieurs autres villages.
Bref, on voit qu’on commence à gagner le combat contre l’épidémie. De voir ceux qui sont sur la ligne de front continuer à s’impliquer après avoir vécu l’enfer, ça nous force à serrer les dents et à continuer.
* Pas souci de protection de la vie personnelle, le nom de Maryam est un nom fictif.