Un bénévole de la Croix-Rouge s’engage à aider les familles à se rétablir cinq ans après le séisme

France Hurtubise | 13 décembre 2014

Le 12 janvier 2010 à 16 h 52, la vie de Kesnel Tondreau suivait son cours dans son hameau de La Vallée, dans le sud-est d’Haïti. Trente-cinq secondes plus tard, son monde s’effondrait. « J’étais chez moi, je revenais de l’école. J’ai entendu un bruit et soudain ma maison s’est effondrée. Je me suis mis à courir à la recherche de mes frères et de mes sœurs. Je suis allé chez mon grand-père qui était handicapé. Il était mort. Un bloc de ciment lui était tombé dessus. »
 
Au même moment, comme tous les jours, la capitale Port-au-Prince, les régions de Léogâne et de Jacmel fourmillaient d’activités. Des enfants trainaient encore à l’école avec leurs amis, des parents faisaient leurs dernières courses avant d’arriver à la maison, pendant que d’autres étaient pris dans d’interminables embouteillages. Le choc fut tellement soudain et brutal qu’on arrive à peine à l’imaginer. La capitale, avec son million d’habitants, était détruite à plus de 75 %. Des centaines de milliers de victimes avaient trouvé la mort ou avaient été blessées, là même où elles se trouvaient au moment du séisme. En quelques minutes, des millions de personnes se retrouvèrent sans logis, forcées de trouver un abri de fortune ou de se déplacer vers des camps de secours.
 
C’était il y a cinq ans. Ce jour-là, la notion d’extrême vulnérabilité a pris tout son sens pour Kesnel. « On était coupés de tout. Il était impossible d’avoir de l’eau et tout le monde était à la belle étoile. » Le tragique événement fut une révélation de la fragilité et de la vulnérabilité de sa communauté. Sur le champ, il eut envie d’aider ses proches. Il a naturellement songé à la Croix-Rouge.
 
Bien avant le tremblement de terre, les collègues haïtiens de la Croix-Rouge canadienne et de la Croix-Rouge haïtienne étaient déjà à l’œuvre sur le terrain afin de mettre en place des programmes pour les communautés. Dans un pays où les risques d’inondations, d’ouragans, et autres bouleversements climatiques sont légion, la réduction de l’impact des catastrophes et la mise en place un programme santé étaient et demeurent une priorité.
 
Aujourd’hui, dans le bureau de la Croix-Rouge canadienne à Jacmel, toute une équipe spécialisée dans les secteurs de la santé, de la prévention de la violence et de la gestion des risques travaille à faire avancer des projets pour le bien-être des communautés du Sud-Est. Kesnel, facilitateur communautaire et bénévole au sein de la Croix-Rouge et Marie-Mercie Brissault, agente principale, Programme de santé et de soins à base communautaire à la Croix-Rouge canadienne, nous emmènent à 27 km de la ville afin de rencontrer des familles qui vivent dans le chef-lieu de La Vallée. Nous grimpons à 800 mètres d’altitude dans une région de vertes montagnes et de gorges profondes.
 
Kesnel est du coin. C’est ici que sa maison s’est écroulée. Depuis, il rend visite aux familles de la communauté tous les mois et souvent même plus. Il connaît tous les habitants par leur prénom, il est au courant de leurs problèmes. Lors de notre visite, il en profite pour leur rappeler les consignes d’hygiène et s’assurer que le filtre à eau est bien utilisé. Nous rencontrons Douge Baselais et Lucienne Pierre Saint, pour qui la vie à la campagne se résume à l’entraide, « Youn ede lôt – l’un aide l’autre », qui fait partie de la fibre des habitants de La Vallée. « Je n’ai aucun mérite, déclare Gertrude Printemps, bénévole à la Croix-Rouge depuis 2005, je viens d’une famille Croix-Rouge. Mon mari a été le premier coordonnateur et fut en poste pendant huit ans. Pour moi, c’était naturel d’aider les gens ».
 
Les chemins qui montent vers les sommets où vivent plusieurs communautés sont souvent difficiles d’accès, obligeant les familles à avoir recours à la débrouillardise. La Croix-Rouge a mis en place un projet pilote favorisant le partage et l’examen des bons et des mauvais comportements concernant l’hygiène et l’utilisation des latrines. À la tête de cette initiative se trouvent des mères haïtiennes surnommées les « mamans leaders ». Marie Mercie a organisé une réunion de formation avec dix « mamans leaders ».  Nous entrons dans une grande salle polyvalente, ouverte sur un paysage à couper le souffle. Devant nous, dix mamans sont sagement assises, prêtes à partager leurs connaissances. Chacune d’entre elles a la responsabilité de neuf autres mamans qu’elles appellent leurs « filles », auxquelles elles rendent visite régulièrement afin de leur rappeler des notions de base concernant l’utilisation des latrines, l’eau et la nourriture.
 
La méthode d’apprentissage se fait par le biais de cartons avec illustrations et de chansons qui permettent aux mamans ne sachant ni lire ni écrire de recevoir les messages. La maman leader identifie un problème avec l’aide d’images et invite ses filles à proposer des solutions. Toutes chantent en cœur : « dlo se lavi,  fok nou pwotejé si nou pa vle li nan detwi lav- l’eau c’est la vie, il faut la protéger si on ne veut pas qu’elle détruise la vie. »
 
Les « mamans leaders » se réunissent régulièrement avec les facilitateurs de la Croix-Rouge pour s’assurer qu’elles comprennent bien les messages qu’elles doivent transmettre à leurs filles. Ce travail qu’elles font bénévolement est important pour elles. Se sentir utile les motive, d’autant plus qu’elles doivent souvent marcher pendant des heures pour se rendre aux réunions.
 
Kesnel ne parle pas uniquement de sujets concernant la santé lorsqu’il rend visite aux familles de sa communauté. Le tremblement de terre de janvier 2010 ainsi que les inondations récurrentes sont autant de raisons de mettre les gens en garde. En 2011, un programme appelé « Kouri di vwazen - alertez les voisins » a été lancé avec l’appui de la Croix-Rouge canadienne. L’idée générale du projet était de former des relais afin d’alerter les communautés de l’imminence d’une catastrophe et de leur permettre de se préparer au danger. Toute une panoplie d’outils tels que des dépliants, spots radio, banderoles, calendriers, affiches, mégaphones sont en place pour alerter rapidement la population des régions à risque.
 
La gestion des risques c’est également être conscient et se préparer avant même qu’une catastrophe survienne. William Toussaint, assistant au sein du programme de gestion des risques et d’intervention en cas de catastrophe à la Croix-Rouge canadienne, organise fréquemment des séances d’information dans les écoles. Pour ce faire, il utilise le jeu « Te Male - Terre Maleur » qui a comme support didactique un tapis de quatre mètres carrés et un énorme dé. Le jeu donne même l’occasion d’organiser des compétitions stimulantes entre les écoles.
 
Kesnel est l’un des nombreux bénévoles de la Croix-Rouge qui ont décidé de s’investir dans leur communauté à la suite du tremblement de terre. Depuis cinq ans, il participe à de nombreuses formations. En plus d’être bénévole et facilitateur communautaire à la Croix-Rouge, Kesnel est aussi agronome, enseignant, statisticien, et dirige une association d’aide aux enfants. Aujourd’hui, Kesnel est père de deux enfants âgés de 18 mois et 2 mois. Il ignore ce que ses enfants décideront de faire lorsqu’ils auront son âge, mais il sait qu’il leur transmettra son savoir afin qu’ils poursuivent son travail de sensibilisation. « Je vais passer le relai à mes enfants et leur enseigner les valeurs et les principes qui guident la Croix-Rouge, car j’en suis très fier »